INVITEZ-MOI


Un jeune homme etait assis au bout d’une longue table dans un centre de copie de l’avenue du Mont-Royal. Il découpait en forme de signets, des cartons qu’il avait fait imprimé des deux côtés. Daniel est un jeune artiste peintre sans succès qui vit très pauvrement comme tant d’autres à Montréal et probablement dans le monde. Il partage, depuis trois ans, un appartement de merde avec deux autres perdants, au troisième étage d’un quintuplex du plateau Mont-Royal. Le loyer payé, il lui reste à peine assez d’argent pour garnir son armoire d’un peu de nourriture bon marchée en espérant se rendre jusqu'à la fin du mois sans avoir à quêter ou se rendre chez Jeunesse au Soleil pour recevoir son sac de victuailles.
Un fond de beurre de peanut, quelques croûtes de pain tranché dans le congélateur, une enveloppe de soupe Lipton aux nouilles et poulet, voilà tout ce qu'il lui restait à la maison comme victuailles en cette belle journée d'automne.
Tous les fins de mois il attend son chèque. Il fait la queue à la caisse populaire en compagnie d’un bataillon de bénéficiaires de l’aide sociale de tous poils, des jeunes, des vieux, des édentés, des échevelés, pour échanger son chèque contre de beaux billets de banque. Le jour du chèque il se permet une dépense de quelques bières dans un bar de l’avenue du Mont-Royal.
Quelques jours avant de recevoir son chèque, quêtant au coin de Mont-Royal et Saint-Denis, un verre de carton tout neuf de Tim Hortin vide à la main, il s’était imaginé assis à une table d’un restaurant branché. En brassant son verre de carton dans le fond duquel se bataillaient quelques pièces de monnaie, il se voyait, les avants bras posés sur une nappe blanche, un grand verre de vin rouge attendait son plaisir, dans son assiette un énorme steak aux échalotes qui laissait peu de place à une montagne de frites minces et croustillantes. Un grand miroir scintillant réfléchissait son image le long d’un grand mur. « L’ostie d’grosse vie sale.»

Il s’était arrêté devant un restaurant branché de la rue Saint-Denis pour attendre les clients et leur demander un peu de monnaie.
- Monsieur s’il vous plaît! Mes fins de mois sont difficiles, j’ai plus rien à manger.
Un grand à tête grisonnante qui était accompagné d’une jeune poulette écourtichée s’était arrêté pour l’apostropher de son mépris.
- Criss ! T’es pas capable de faire comme toul’monde. Raconte-moé pas d’histoires puis va travailler ciboire. J’quête-tu moé Saint-crème
La blondasse s’était senti gênée par l’explosion verbale du grossier bedonnant et avait regardé Daniel d’un air dépité. Elle avait tiré légèrement son pourvoyeur par la manche de sa veste en lui collant sur le bras ses gros tétons à moitié dénudés, montés en devanture de manège. Elle s’était adressé à lui soumise et douce avec un accent de banlieue de la ville de Québec qui avait intrigué Daniel.
- Laisse donc faire Richard, tu nous fais honte mon bébé, viens-t’en!
En suivant sa femelle vers la porte d’entrée du restaurant il avait marmonné encore quelques insultes, mais quand même radoucit par le bien être que lui procurait le contact du corps de la femme.
- Ostie d’quêteux, chu'pas capable!
Puis se ressaisissant, il avait gratifié sa compagne d’une chaleureuse tape sur une de ses fesses dodues, avant de s’engouffrer dans l’atmosphère chaleureuse du resto. Daniel s’était détourné en faisant une grimace. « C’est pas aux riches qu’il faut demander quelque chose, ils prennent tout et ne donnent rien, même pas l’heure».
En reprenant le chemin de sa tournée des grands ducs, il s’était mis à pensé aux paroles du pingre : « raconte-moi pas d’histoires...» C’est à ce moment là qu’il avait eu l’idée du signet. Une histoire en échange d’un repas. L’idée avait fait son chemin de son estomac jusqu'à ses papilles en laissant un sentiment de vide dans ses tripes et de désir dans son cerveau.
Daniel avait donc quitté le commerce de photocopies et avait emprunté l’avenue du Mont-Royal, avec à la main son petit sac de plastic contenant ses signets. Il marchait d’un pas énergique, pressé et enthousiaste, sourire aux lèvres, le coeur plein de joie et l’estomac plein d’espoir et de gaz d’une aérophagie chronique. Il était quatre heures trente. Les derniers rayons du soleil du dernier jour d’été s’étiraient en aveuglant les marcheurs qui le croisaient sur la main du Plateau. Il se retenait de courir. Il avait tellement hâte d’arriver chez lui pour mettre au point une stratégie.
Manger, manger, manger. Se remplir la panse de bonne bouffe. Vider son estomac du vide qui le faisait souffrir pour le remplir de viande et de sauces. Daniel avait tourné vers la droite sur la rue de Bordeaux, il avait monté les marches de l’escalier extérieur en courant jusqu’au balcon du deuxième palier, il avait poussé la porte de l’escalier intérieur montant deux par deux les marches qui l'amènaient jusque chez lui. En entrant dans l’appartement, il s’était accroché le pied dans la dernière marche et était tombé de tout son long dans l’entrée. Il était resté allongé, hébété en riant aux éclats jouissant déjà de la bonne fortune qui allait certainement s'abattre sur son existence et changer sa vie pour toujours. Il s'était relevé enfin, toujours souriant et s'était dirigé vers la cuisine tenant fermement son précieux colis.
Il avait déposé son sac sur la table de la cuisine et était allé s’allonger sur le pauvre divan du salon usé jusqu’à la corde pour rêver et réfléchir à son projet. Rêver, c’est tout ce qu’il pouvait s’offrir comme distraction. « Mais tout ça va changer », s'était-il dit. Étendu sur le divan, Daniel défit instinctivement le bouton de son jeans et entreprit de se tripoter la queue et les couilles en revoyant en pensée la poulette aux belles fesses du plein d’marde qui l'avait insulté. Définitivement bandé il s'était masturbé en s’imaginant en train de dépouiller la belle de ses vêtements. Ses gros seins qui bougaient lourdement, ses fesses généreuses. Il la prenait en levrette à genoux sur son vieux divan son jeans aux chevilles. Il avait éjaculé enfin dans sa main gauche en soufflant, la tête enfoncé dans un coussin et le cul en l’air et s'était murmuré:'' Putain de salope, la prochaine fois j’tencule ''.
Il était passé dans la salle de toilette en titubant. Il s'était débarrassé les mains de sa semence inutile sous le robinet en souriant. '' Avec tous les mâles qui éjaculent à travers le monde, hommes, tigres et baleines, la création ne sera jamais à court de sperme. Un océan de sperme. Mis a part les chiens qui se zignent agrippés sur les jambes des tous et chacun, même les enfants, l’homme serait-il le seul animal de la création à se masturber? L’homme civilisé se masturbe-t’il plus que le sauvage? Pourquoi? La quantité de sperme résultant de la masturbation solitaire est-elle plus grande que le sperme résultant du coït ou de la pipe? Qui est le gagnant, l’homme solitaire ou l’homme assisté? Y a-t’il un psychanalyste dans la salle?''
Assis sur le courvecle de la cuvette, il riait aux éclats, les larmes aux yeux, presqu'heureux. Après ces pensées hautement philosophiques, il était passé dans la cuisine pour préparer son repas du soir. La cuisine avait gardé, dirons-nous, son cachet d’antan. Le bois des armoires qui s’inclinent vers la ligne médiane centrale de la pièce en suivant le plancher, est recouvert de multiples couches de peinture des différentes époques de son existence et les endroits écaillés laissent apparaître les différentes couleurs du passé. Un tuyau inutile en fonte, amputé de son calorifère, vestige d’un système de chauffage à l’eau chaude, courre le long d’un mur pour disparaître dans le plancher. La tapisserie des murs a été recouverte d’une croûte de peinture elle aussi. Bref, un vrai petit paradis pour célibataire en manque de sandwiches.
Daniel avait ouvert la porte de son armoire pour en retirer une boîte de raviolis, œuvre d’un chef cuisinier bien connu des mangeurs de conserves. Il ouvra la boîte de conserve avec un couteau pour verser entièrement le contenu dans une assiette à l’aide d’une cuillère à soupe. Il avait déposé l’assiette dans le four micro-ondes crasseux le temps de réchauffer les petits trésors à la sauce tomate. Il s'était assis à la table de la cuisine, les bras croisés dessus. Après quelques minutes la sonnerie s'était fait entendre. Il s'était levé pour prendre son assiette et la déposer sur la table. Il avait ouvert le réfrigérateur pour en sortir une pinte de lait qu’il croyait pleine. Il avait soupiré en se demandant lequel des deux autres colocataires avait fait la razzia sur son bien et en le maudissant. Il était allé chercher un verre dans l’évier, le lava avec ses mains et quelques gouttes de savon à vaisselle liquide et l’eau chaude du robinet , il l'avait déposé à côté de son assiette et avait versé le reste du lait dedans.
Tandis qu’il tantait de se trouver un appétit en piquant sans conviction un gros carré de pâte dodue, il avait fixé du regard le sac de signet qu’il avait posé sur la table pour les avoir tout près. Il avait porté à sa bouche un ravioli maculé de sauce rouge orangée, mais à mi chemin, dégouté par l’odeur qui avait atteint ses narines avant que la bouchée n'atteigne ses lèvres il avait lancé le grassouillet petit carré de pâte vers le lavabo. La bestiole avait frappé le mur et était tombé dans l’évier le crâne fracassé. Il s'était lève et avait quitté la cuisine pour se rendre à sa chambre à coucher en jetant un coup d'oeil, sans remord, au ravioli crevé en passant à côté de l'évier. Il avait enfilé un pantalon noir pas trop fripé, une chemise plutôt propre, était retourné dans la cuisine pour s'emparer d'une petite pile de signets qu'il avait fourré dans la poche intérieure de sa veste en velours côtelé usée.
Bien décidé, il avait quitté son logement en descendant les marches quatre par quatre jusqu'au trottoir. Il s'était rendu compte tout à coup, en se dirigeant vers la rue Saint-Denis, qu'il faisait un temps magnifique. Sur son chemin il avait croiseé des gens qu'il croyait voir pour la première fois. Arrivé devant le resto de ses rêves, il avait inspiré longuement l'air du Plateau jusqu'au plus profond de son âme. Il avait hésité quelques secondes en jetant un coup d'œil depuis le trottoir vers l'intérieur de l'établissement. Il avait repris coinfiance poussé par la faim et s'était parqué à quelques pas de la porte d'entrée quelques signets à la main.

Il en avait pris un et s'était mis à lire le texte qu'il y avait fait imprimer : '' Invitez-moi à dîner et je vous raconte une histoire vécue.'' Il avait souri. Avec toutes les aventures qu'il s'était imaginé vivre depuis sa tendre enfance. Des histoires mille fois ressassées, enjolivées de milliers de détails qu'il avait ajoutés au fil des ans, selon ses humeurs, ses désirs, ses angoisses. Elles avaient été vécues mille fois dans la souffrance d'avoir été rejeté par la petite société des enfants de son âge; de la haine de l'humanité sans âme qui ne reconnaissait pas son talent d'artiste; de son père alcoolique qui avait préféré sa bouteille à son fils qui avait tant besoin de son affection, de son frère indifférent agrippé à ses propres souffrances; de sa mère morte d'une maladie incurable dont on ne voulait pas parlé, la folie, le suicide. Une émotion avait envahie son être et lui avait fait verser une larme qu'il avait essuyé avant qu'elle ne coule de sa paupière.
- Bonsoir Monsieur, Madame.
Un couple qui s'apprêtait à rentrer dans le restaurant s'était arrêté à côté de Daniel qui leur tendait un signet.
- C'est quoi ça? Lui avait demandé la femme dédaigneusement.
L'homme d'un certain âge avait hésité avant de prendre le bout de papier. Il avait regardé sa femme qui se pincait les lèvres en regardant Daniel de la tête aux pieds. La curiosité l'avait emporté sur la mauvaise humeur de sa compagne, il avait accepté le signet. Alors Daniel, encouragé lui avait dit d'un ton souriant :
- Si vous m'invitez à dîner je vous raconte une belle histoire vécue.
La femme en s'agrippant au bras de son compagnon lui avait lancé un Pfuuu! bien senti. L'homme s'était mis à rire de bon coeur de quelques Ha! Ha! Ha!
- C'est pas une mauvaise idée, jeune homme mais comme vous voyez ma femme est plutôt snob. Alors quand je reviendrai seul, si vous êtes toujours là, j'écouterai volontiers votre histoire.
Daniel avait souri de nouveau évitant le regard de la femme.
- Merci monsieur et bonne soirée.
L'homme avait entraîné sa femme dans le restaurant en gratifiant Daniel d'un clin d'oeil. Mais l'épouse avait gratifié Daniel d'une réflection désagréable.
- J'va y en faire moé une histoire vécue. As-tu entendu ça?
- Ha famme ta yeule Rolande si tu veux pas que j'te laisse sur le trottoir avec lui, sacrament! Tu-y diras que t'as mal à la tête, ostie.

Daniel qui n'avait pas entendu la réplique du mari, avait tourné le dos au couple pour se préparer à accueillir le prochain client.
Le soleil s'était couché du côté nord de la Rue Saint-Denis. Il regardait les gens aller et venir. De l'autre côté de la rue une file de personnes qui faisaient la queue devant un marchand de crème glacée avait attiré l'attention de Daniel. Il avait remarqué que les clients ressortaient les un léchant un cornet les autres dégustant le crème glacée dans un petit bol en plastic à l'aide d'une cuillère miniature.
Mais déjà un homme s'approchait du restaurant devant le quel il faisait la garde. Grand, mince et élégant, il s'était dirigé vers l'entrée du restaurant. Daniel l'avait apostrophé.
- Pardon monsieur!
L'inconnu s'était arrête et tourné vers Daniel en souriant, mais sans rien dire. Daniel s'était approché de lui et lui offrant un signet en souriant également. L'homme avait pris le signet sans le regarder en ne quittant pas Daniel du regard. Gêné d'être regardé avec autant d'intensité, Daniel lui avait adressé la parole.
- Bonne soirée Monsieur.
L'homme lui avait souri à nouveau, en mettant le signet dans la poche de sa veste. Il était entré dans le restaurant sans rien dire. Daniel l'avait regardé entré par la porte vitrée et s'était dit à lui même : ‘’Criss! Il l'a même pas regardé. ‘’
À l'intérieur, Dominique s'était assis à sa place habituelle salué par le patron, un moustachu grisonnant au regard vif de sanglier. Un Français nerveux qui s'occupait de son affaire, qui gèrait son personnel du regard et qui faisait risette à ses clients.
Un garçon s'était arrêté à sa table pour le saluer et pour lui verser son habituel verre de Chardonnay bien frais. Il porta le verre à ses lèvres et expira un soupir de lassitude avant de prendre le liquide jaune dans sa bouche. Après avoir posé son verre il avait fouillé dans la poche de sa veste pour y prendre le signet de Daniel. Il avait lu avec amusement ce qui y etait inscrit. Après quelques instants de réflexion il avait fait signe au garçon qui s'était approché avec empressement.
- Antoine!
- Oui monsieur.
- Non je ne vais pas commander tout de suite.
Le garçon avait lèvé le nez en direction de son client attentif.
- Je voudrais que vous alliez à l'extérieur et que vous invitiez à ma table le jeune homme qui est devant la porte, s'il y est toujours.
- Pardon! Vous voulez que j'aille chercher une personne qui se tient là devant et que je l'amène à votre table.
- Voilà! Vous avez bien compris.
- Ha bon! Comme vous voulez monsieur.
Le garçon de table s'était dirigé vers la sortie en prenant un air surpris en direction du patron qui le questionna du regard. En passant à côté. De lui le patron l'arrêta.
- Qu'est-ce qu'il y a?
- Hé bien le client, monsieur Dominique, désire inviter le type qui est là devant sur le trottoir.
- Comment? Mais c'est pas sérieux ça.
Le patron retient le Garçon
- Attend je vais parler au client.
Le patron s'était dirigé vers la table de son client en souriant.
-Bonsoir monsieur! Tout va bien?
- Oui, oui! Tout va bien.
- Pardonnez-moi de vous posez cette question, mais vous êtes sérieux de vouloir inviter la personne qui est devant là, sur le trottoir.
- Oui, tout à fait. Mais soyez sans crainte, j'en prends l'entière responsabilité.
- Non, mais y-a pas de soucis. Je voulais m'assurer qu'Antoine avait bien compris. Y-a pas de soucis.
Le patron avait quitté son client la mine défaite et avait fait signe au garçon de s'exécuter. Il était retourné derrière le bar, déhanché sur le coin dans la position du gorille qui guette sans en avoir l'air. Dominique s'était souri en reprenant une gorgée de vin, assez content de lui même. Il s'était dit qu'il allait peut-être enfin se passer quelque chose de nouveau dans sa vie.
Daniel attendait toujours en faisant quelques pas de gauche à droite et à l'inverse en observant les passant. Dans un petit relâchement d'enthousiasme il s'était demandé s'il avait bien fait de dépenser tout cet argent pour faire imprimer autant de signets, mais il fut bousculé hors de ses pensées noires par une voix qui l'appellait depuis la porte du restaurant.
- Monsieur! Monsieur!
Daniel s'était retourné pour apercevoir un garçon de table qui lui faisait signe d'approcher. Daniel s'était demandé si on allait pas lui demander d'aller se faire voir ailleurs. Sans broncher d'un poil il répondit.
- Oui!
Le garçon soupira brièvement.
- Entrez, il y a un client qui vous invite à sa table.
Malgré qu'il se fut rendu devant ce restaurant avec ses signets dans l'espoir de se faire inviter, Daniel avait du mal à y croire. Il s'était mis à sourire d'un sourire incontrôlable. Son visage s'était illuminé. C'en etait terminé des boîtes de conserve. Un nouveau chapitre de sa misérable vie venait de s'ouvrir. Le monde du passé s'écroulait derrière lui. Il allait enfin vivre, se laisser vivre, manger. Il ne put s'empêcher de rire à sa bonne fortune. Son estomac lui faisait mal tout à coup, comme une plaie ouverte. Ses intestins frémissaient jusqu'à l'anus, qui battait au rythme de son coeur qui s'emballait, conscient de sa nouvelle vocation :'' Chier de le merde de qualité, de beaux étrons biens formés, avec de vraies odeurs de merde de riche.'' ''Les pauvres ne chient pas comme les riches.'' Il allait s'asseoir avec dignité sur un siège immaculé de bol de chiotte de riche, dans une toilette parfumée à la lavande. Il allait prendre rendez vous avec les chiottes du Ritz ou d'un autre établissement distingué pour vider ses intestins. Il s'était regardé et s'était trouvé beau tout à coup. Beau comme un prince à qui on essuie les fesses devant une assemblée de courtisans. '' Sa majesté pue'', c'était lui.
- Monsieur!
Daniel était revenu à lui. Il avait remis ses signets dans la poche de sa veste et s'était dirigé vers l'entrée du petit resto français en essuyant ses habits. Le garçon lui avait tenu la porte et était passé ensuite devant lui en lui faisant signe de le suivre. Daniel se laissait guider dans l'allée centrale du resto. Il n'avait pas remarqué le patron qui le dévisageait. Ca sentait bon l'ail et les frites. Les lumières scintillaient dans les lampes accrochées aux murs. Le mur de droite était un long miroir de haut en bas qui allait de la fenêtre de la rue jusqu'au mur du fond. Les tables de deux et de quatre se côtoyaient et se suivaient de chandeliers argentés en nappes blanches. Il y était.
Le garçon s'était arrêté devant la table du grand mince.
- Voici votre invité Monsieur
Daniel avait reconnu le client muet de tout à l'heure. Il lui avait souri debout devant la table.
- Bonsoir jeune homme. Il semble que nous allons passer un petit moment ensemble alors je vous invite à vous asseoir.
Daniel s'était exécuté en remerciant son hôte.
- Merci Monsieur.
Dominique avait ensuite fait signe au garçon de s'approcher.
- Antoine apportez-nous une bouteille de Mouton Cadet et deux verres.
- Bien Monsieur.
- Vous aimez le vin rouge jeune homme?
- Oui Monsieur.
- Bravo! Ca donne un petit coup de fouet et ça ouvre l'appétit.
Daniel avait souri et n'avait rien répondu. Il s'était dit à lui même : j'ai pas besoin d'un coup de fouet pour m'ouvrir l'appétit, ça fait des années que j'ai faim. Après coup, il avait tenté une parole pour ne pas avoir l'air idiot.
- C'est très beau ici
- Oui, pas mal. Je pense qu'on devrait commencer par se tutoyer, je trouve que le vouvoiement met une petite distance un peu guindée.
- O.K.
Le Garçon qui s'éait approché avec la bouteille de vin rouge à l'étiquette de la famille Rothshild s'activait à l'ouvrir avec doigté. Il avait posé ensuite le bouchon de liège devant Dominique qui sourit.
- Je vous fais confiance Antoine.
Sans rien dire le garçon avait versé une petite quantité de vin rouge dans le verre de Dominique et attendait. Dominique avait pris le verre avec un peu de nonchalance l'avait porté à ses lèvres et goûte le vin. Daniel avait souri encore. Il regardait Dominique faire, avec joie, comme dans un film. Tout autour de lui les clients étaient à leurs repas et le patron guettait un peu moins tendu.
- C'est très bien Antoine, vous pouvez nous servir.
Le garçon de table s'était exécuté avec dextérité en remplissant à moitié les deux verres. Il avait posé la bouteille sur la table et s'était éloigné. Dominique avait levé son verre et invité Daniel du regard à en faire autant.
- Quand on lève son verre, il est de coutume de se souhaiter bonne santé tout en se regardant dans les yeux. Alors santé
- Santé.
Daniel allait enfin portetr son premier verre de vin de sa nouvelle vie à ses lèvres. Le bouquet du vin avait envahi ses narines bien avant que le verre touche sa bouche. Il jouissait de cet instant tant désiré avec bonheur et délectation. Ce geste simple et banal contenait toute se délivrance. Il avait laissé couler dans sa bouche cette substance enivrante et avait goûté au bonheur de bien vivre. Il lui avait suffi d'une gorgée de vin rouge pour se sentir enfin exister. Il avait lentement posé son verre sur la table sous le regard de Dominique qui se rendait compte tout à coup de toute la distance qui les séparait. Dominique avait eu l'impression d'être une oasis qui rencontre un désert. Son coeur s'était serré en observant ce garçon démuni et il lui avait semblé découvrir même un peu de noblesse dans ce visage tourmenté.
- Le vin est à ton goût
- Merveilleux.
- Tant mieux.
- Avant de regarder le menu, on va faire un peu connaissance si tu veux bien.
- Bien sur.
- Alors Moi c'est Dominique
- Moi c'est Daniel.
Daniel avait tendu gauchement sa main à Dominique qui l'avait prise délicatement en lui souriant. Daniel s'était senti un peu inconfortable au contact de la main froide de Dominique mais il ne laissa rien paraître.
- Moi je suis dentiste et toi
- Moi je suis artiste peintre.
Daniel avait affirmé son état d'artiste avec fermeté et conviction. '' C'est pas le moment d'avoir l'air d'un ti-coune '', s'était-il dit.
- Artiste peintre. C'est très bien.
- Bof!
- Est-ce que tu exposes tes oeuvres dans une galerie.
- Non pas vraiment.
- Donc tu ne vis pas de ton art
- Non.
- Ça viendra
- Je l'espère.
- Mais si j'ai bien compris le sens de ton invitation tu te lances dans le récit.
- Si on veut.
- Et quel genre d'histoire vas-tu me raconter ce soir?
Dominique avait compris que Daniel était surtout pauvre avant d'être artiste peintre.
- J'avais pensé vous raconter une histoire fantastique.
- Mais oui pourquoi pas. Sans oublier qu'il faut se tutoyer et qu'on va d'abord commander à manger.
- O.K.
Dominique avait levé à nouveau son verre et Daniel l'avait imité en vidant le sien. Dominique avait pris plaisir à remplir le verre de Daniel au trois quart. Daniel qui avait vu son verre se remplirà nouveau avait sourit aux anges qui l'avaient guidé jusqu'à cet homme qui, s'était-il dit, devait être un peu gay. Mais il s'en foutait, lui qui avait souvent fait des remarques grossières sur les homos, s'était surpris à trouver celui-ci, certainement par la force de la situation, assez sympathique. Il s'était dit en riant intérieurement aux éclats, qu'il lui ferait peut-être même une petite branlette si le fifi le lui demandait, tellement il etait heureux. Daniel avait repris son verre en regardant Dominique.
- Dominique! Je lève mon verre à ta santé. Je suis très heureux d'être ici avec toi ce soir.
Daniel s'était demandé après coup s'il n'en avait pas trop mis? Puis avait ajouté à sa réflection:'' La branlette, O.K. mais pas plus... ''
Dominique trouvait définitivement Daniel très sympathique et leva son verre à son tour.
- Et moi je lève le-mien pour te souhaiter une longue carrière de compteur d'histoire dans les plus beaux restaurants de Montréal... et pourquoi pas du monde.
Daniel qui n'avait pas trop souvent eu l'occasion de boire de vin, commençait à sentir l'alcool lui monter à la tête.
- Je commence à sentir l'effet du vin.
- Ha oui! Ha! Ha! Ha!
- Ça fait longtemps que j'ai pas senti ça.
- Je pense qu'on devrait commander à manger avant que ton histoire fantastique se transforme en histoire de fesses.
- Ha! Ha! Ha! Ha! Bonne idée.
- Dis-moi! Qu'est-ce qui te ferait plaisir de manger?
Daniel qui avait pris quelques rougeurs de chaque côté du nez, avait du mal à contenir son hilarité.
- Si c'est O.K. Hun! Hun! Hun! J'pense que j'aimerais un steak avec une montagne de frites.
Après avoir exprimé son désir de frites, il s’était mis à visualiser une montagne de frites. Il sourit tellement fort que les muscles de ses joues lui avaient fait mal, un peu comme quand il fumait du pot et qu'il ne pouvait s'empêcher de sourire comme un idiot avec ses copains, les yeux givrés, la bouche sèche, un peu comme si son cerveau s’était lentement inondé de brume, baignant dans un état d’apesanteur figé.
- Excellente idée! Je te suggère une bavette à l'échalote. Elle est merveilleuse ici. Flambée à l'Armagnac. Tu vas sortir d'ici un autre homme. Ha! Ha! Ha!
- O.K. Pour la bavette. Hun! Hun! Hun!
- Saignante
- Médium.
- Comme tu voudras, c'est toi qui va la manger.
- Ha! Ha! Ha! Mes dents sont prêtes.
Dominique avait fait signe à Antoine, tandis que Daniel se massait les muscles de la mâchoire en regardant les personnes des autres tables.
- Oui monsieur! Vous êtes prêts à commander
Daniel avait remarqué à une table plus au fond du resto une jolie femme noire dans une robe émeraude qui était accompagnée d’un homme blanc très élégant. Il l’avait observé intensément. Elle avait une bouche aux lèvres charnues bien dessinées et un sourire de dents blanches qui tranchait sur sa peau noire mate.
- Oui Antoine. Apportez-nous quelques petits amuses gueules pour nous faire patienter et ensuite deux bavettes avec frites, l'une saignante et l'autre à point.
- Bien monsieur. Une petite salade avec la bavette
Dominique avait regardé Daniel en souriant, répétant à la manière du garçon de table, comme s'il devenait tout à coup un gamin effronté.
- Une petite salade?
Mais Daniel était absorbé ailleurs, dans ses fantasmes aux couleurs de cette belle femme noire.
- Huhum!
Daniel revint soudainement à la réalité et avait regardé Antoine en souriant et en lui faisant signe de la main pour tenter d’expliquer par ce geste qu’il était dans un autre état pour un bref instant.
- Une petite salade?
- Une salade? Heuu! Non merci, je laisse ça pour les lapins.
- Ha! Ha! Ha! Alors pas de salade Antoine. Merci!
- Je vous mets quand même les haricots Monsieur?
- Oui Antoine, quelques haricots.
Avant de quitter la table le garçon avait vidé la bouteille dans les verres et avait regardé Dominique le questionnant du regard en agitant la bouteille vide. Dominique lui fait signe que non.
- J'pense que j'va aller faire un petit pipi Dominique.
- Je t'en prie. Les toilettes sont au fond à gauche.
- Merci.
Daniel s'était levé de table avec un peu de difficulté, l’alcool faisant son effet, et s'était dirigé lentement vers le fond du resto. Antoine en avait profité pour se retourner et regarder dans la direction où Daniel s’était perdu. Il avait remarqué également la jolie femme et avait souri.
Arrivé devant la porte des toilettes au masculin, Daniel avait pris une profonde inspiration en souriant d’aise avant d’entrer. La poignée en bec de canne de porcelaine blanche était froide.
Il avait étét un peu déçu de la petitesse du lieu. Il s’était attendu à plus luxueux. Quoique s'était-il dit, les Français n’ont jamais été très forts dans les chiottes. Il s'était regardé dans le miroir et s'était souri tout en défaisant la ceinture de son pantalon qu’i lavait laissé tomber jusqu'à ses genoux. Il avait descendu son sous vêtement à mi cuisse et s’était assis sur le bol. Il allait tout simplement pisser assis, comme un roi sur son trône. Il s'était demandé s’il ne pourrait pas y laisser également une petite crotte. Il fit un petit effort et au lieu de la crotte attendue, il avait expulsé un méchant pet qui avait résonné dans le bol comme une note de tuba effrontée. Il avait éclaté de rire et laissé enfin sa vessie se vider. Trés satisfait de lui même, il s'était relève en prenant sa verge dans sa main droite et avait entrepris de la faire durcir. Content de la voire bander, il s'était demandé s’il avait le temps de se faire jouir avant de retourner à table. La petite black en vaudrait bien la peine. Il avait hésité et décid`é finalement de la faire attendre. '' Elle va attendre son tour. J'va la planter à la maison, la petite cochonne.'' Son pantalon refait il s'était lavé les mains et quitté le lieu de ses futures substances fécales de conséquences.
Théo attendait songeur.
- Ha! Te voilà
- Me voilà.
- Avant de poursuivre, il faut que je dise quelque chose à propos de moi.
- Oui?
- Mais avant terminons le repas.
- Tu ne veux pas que je te raconte une histoire.
- Mais oui évidemment. Ha! Ha! Ha! Mais nous avons le temps. Mangeons d’abord. Tu aimes ton steak!
- Super, merci.
- Tant mieux!
Dominique avait souri à Daniel.
- Je t’ai dis que j’étais dentiste, mais je ne t’ai pas dis pourquoi.
- Heu! Non! Heu! Heu! Heu!
- Hé bien voilà, je suis devenu dentiste parce que mon père voulait que je devienne médecin comme lui.
- Ha! Ha!
- Oui, je sais c’est con mais je voulais faire autre chose que d’écouter les patients me raconter tout sur leurs petits bobos et grandes douleurs.
- La je te comprends Dominique. Moi non plus je serais pas capable.
- Alors je me suis dis que si je devenais dentiste, mes patients auraient la bouche grande ouverte sans pouvoir dire un seul mot. Tu comprends?
- Pas à peux prêt. Hun! Hun! Hun!
- Il faut que je te dise que je ne suis pas comme toi.
- Ha!
- Je veux dire… j’ai remarqué que tu avais regardé en direction de la femme noire là bas.
- Ouan! Belle poupounne.
- Ce que je veux dire c’est que pour ma part je ne m’intéresse pas vraiment aux femmes.
- Cou-donc Dominique es-tu en train d’essayer de me dire que tu es gay?
- Heu! Oui c’est un peu ça.
- Ouan! À vrai dire je m’en doutais.
- Ha bon! Ça se voit tant que ça.
- Non pas vraiment. Mais ca se sent quand tu me regardes. Je le vois dans tes yeux. Tu me regardes un peu comme je regarde les femmes.
- Ha!
- On ne peut pas vraiment échapper à sa condition et à ses bas instincts. Mais j’espère que ça ne t’ennui pas?
- Mais non. Fais-toi s’en pas, j’suis pas du genre anti…
- Fifi!
- hehun! Je cherchais un mot moins…
- Ça ne me choque plus. Ça fait longtemps que j’ai accepté.
- Mais bon il faut que j’te dise que je ne suis pas…
- Oui je sais! Pas comme moi. Comme ça les choses sont claires.
- Merci Dominique.
- Mais tu sais à l’époque où je me suis rendu compte que je préférais les gars… Mais ça t’ennui pas qu’on parle de ça?
Daniel terminait ses frites et fit signe non de la tête.